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Interview : Catherine Blaya, présidente de l’Observatoire international de la violence à l’école

Les Dossiers des sciences de l'éducation, n°33 2015

Pouvez-vous nous dire en quoi consiste l’Observatoire international de la violence à l’école (OIVE) ?

L’Observatoire a été créé en 1998 avec Éric Debarbieux à l’université de Bordeaux. C’est une association, loi 1901, qui fédère 25 chercheurs qui font partie du comité scientifique. Ces chercheurs viennent d’horizons différents : d’Amérique du Sud (Colombie, Argentine, Mexique),  d’Afrique (Burkina Faso, Mali), d’Amérique du nord (USA, Québec), d’Australie et d’Europe. Projet initialement européen,  l’Observatoire est devenu, par les nationalités de ses membres, une structure internationale basée sur une fédération de chercheurs. Les sujets de recherche sont le climat scolaire et la violence à l’école, en particulier le harcèlement à l’école que ce soit au niveau des élèves ou des enseignants.

L’Observatoire est accueilli à l’ESPE de l’académie de Nice, avec le soutien du recteur de l’académie de Nice et de la présidence de l’université de Nice. A l’ESPE, nous sommes trois enseignants-chercheurs (Rania Hanafi, Michaël Fartoukh et moi-même) à travailler sur ce projet et nous disposons d’un secrétariat à mi-temps.

 Comment vos recherches se diffusent-elles ?

Nous organisons notamment tous les deux-trois ans un colloque international intitulé : « Violence à l’école et politique publique ». La première édition a eu lieu en 2001 à l’Unesco, la sixième a eu lieu les 20/21/22 mai 2015 au Pérou. Elle était organisée en collaboration avec le Ministère de l’Education péruvien et a rassemblé plus de 1000 participants et 300 communications de tout horizon. La prochaine conférence aura lieu soit en Australie, soit au Québec.

Avez-vous d’autres modes de diffusion ou de collaboration ?

Nous publions des articles en français, anglais et espagnol dans un journal en ligne International Journal of Violence and Schools, en libre accès.  Dans nos perspectives,  nous devrions collaborer avec le National School Climate Center à New-York et le Student Wellbeing and Prevention of Violence (SWAPv). Le journal, déjà classé AERES (70e section sciences de l’éducation), deviendrait une production commune, de façon à élargir la dissémination et d’attirer des contributions des collègues australiens et nord-américain. Nous collaborons également avec la Chaire de prévention des violences  à l’université de Laval au Québec. Enfin, nous disposons du soutien régulier de la MAIF et de la Fédération autonome de Solidarité.

Quels sont vos liens avec les Ministères français ?

Nous travaillons régulièrement avec le Ministère de l’Education nationale, tout en gardant notre autonomie et notre liberté de parole. Nous avons été récemment partenaire de la campagne contre le harcèlement « Agir contre le harcélement à l'école ».  Nous faisions partie du jury de sélection du concours national lancé auprès des établissements scolaires dont les élèves devaient produire, soit une affiche, soit une vidéo inscrite dans un projet pédagogique. Nous avons également contribué à l’élaboration du guide sur la cyber-violence.

Quels sont vos liens avec les ESPE ?

L’OIVE a contribué à la formation à l’ESENESR des cadres de l’Éducation nationale sur les questions des harcèlements, avec la Mission interministérielle de lutte contre le décrochage scolaire. Des enseignants-chercheurs des ESPE d’Aquitaine, Créteil, Versailles ou encore Lille Nord-de-France sont également impliqués dans les activités de  l’Observatoire.

A l’ESPE de l’académie de Nice, je dispense les cours sur le climat scolaire en formation initiale (dans le cadre du tronc commun). L’an prochain, une formation est prévue pour des néo-titulaires avec une troupe de théâtre interactif.

En formation continue des enseignants, nous sommes amenés à organiser des conférences, des séminaires internationaux... Le dernier était basé sur l’ANR autour du thème du cyber harcèlement. Thème qui avait déjà donné lieu l’an dernier à une formation des enseignants dans le cadre d’un projet européen. Nous intervenons donc sur la formation continue, mais sous des formes pas forcément conventionnelles.

En quoi consiste votre mission de veille ?

On constate au niveau européen une stabilisation voire une baisse des problèmes de harcèlements.  Parallèlement, on constate un élargissement du fossé entre les établissements dits « ordinaires » et ceux qui accueillent du public en situation de grande précarité. On a des situations où l’on cumule des difficultés, avec des établissements qui disposent de moins de ressources avec des jeunes qui vivent de grandes difficultés à l’extérieur de l’école. Difficultés qui peuvent être importées à l’école, mais aussi être produites par l’école par les rotations de personnels, des enseignants inexpérimentés, etc.

Cette situation est similaire dans les autres pays européens où l’on retrouve les mêmes caractéristiques. Il est intéressant de noter que les situations sont différentes en fonction du mode de recrutement des enseignants. Dans les pays d’Europe du Nord, comme en Angleterre, où le personnel est recruté localement, le sentiment d’appartenance et l’implication des enseignants à l’égard de l’établissement a des effets bénéfiques sur le bien-être des personnels et par conséquent au niveau du climat scolaire.

Sur un même quartier, présentant des caractères socio-économiques, deux établissements peuvent présenter des problèmes de rackets par exemple qui peuvent varier du simple au double. Les différences peuvent s’expliquer par le facteur climat scolaire et l’historique de l’établissement. La culture d’établissement, la stabilité de l’équipe éducative ainsi que la direction de l’établissement sont également des éléments très importants à prendre en compte.

Qu’en est-il de l’aménagement scolaire ?

C’est également un facteur important ! Nous avons eu l’occasion de faire une visite d’établissement avec l’équipe pédagogique puis avec les élèves, les informations peuvent être totalement différentes. Les lieux cachés non surveillés, non connus des équipes éducatives peuvent être le lieu de violences scolaires. C’est pour cela qu’il faut inclure les élèves dans le travail de prévention de la violence à l’école, de mise en œuvre d’un climat scolaire positif.

Quels sont vos perspectives pour la rentrée 2015 ?

Nous sommes engagés dans la mise en place d’un projet national sur l’académie de Nice : ADER (Actions contre le  Décrochage et le harcèlement Éducation et Régulation par l’environnement) dans lequel s’inscrivent 8 établissements (collèges : 6e et 5e) et les classes de CM2 de leur secteur, 10 à 15 enseignants formés par établissement. Deux autres académies  (Bordeaux et Créteil) se sont aussi engagées dans ce projet avec des modalités adaptées à leurs particularités.

C’est un travail conjoint sur le décrochage scolaire, mené en partenariat avec l’académie de Nice et le département du Var. Nous travaillons sur une évaluation des élèves à risque de décrochage scolaire sur la base d’un programme québécois adapté à la France, nommé Trait d’union.  Nous formons les enseignants à l’accompagnement individualisé sur ces questions de décrochage scolaire de façon à changer le regard de l’enseignant et non pas seulement de l’élève. Ces enseignants  suivent ces élèves tout au long de l’année. Mais ils sont également tutorés par l’équipe de la Mission interministérielle de lutte contre le décrochage scolaire et par moi-même qui pilote le projet. Le décrochage scolaire étant associé au climat scolaire, un travail de réflexion sera aussi mené par l’intermédiaire d’un groupe de collégiens, à l’occasion de la création des Conseils de la vie collégienne (CVC) qui travailleront avec le Comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC) pour la prévention des violences à l’école.