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Journée nationale de la laïcité : entretien avec Arnaud Coutant, maître de conférences en droit public
Isabelle de Mecquenem, référente laïcité et professeur de philosophie à l'ESPE de l'académie de Reims, Université de Reims Champagne-Ardenne, nous a transmis les propos qu'elle a échangés avec Arnaud Coutant, maître de conférences en droit public au sujet de la laïcité.
Il existe aujourd’hui des dictionnaires complets dédiés à la laïcité, preuve matérielle de sa complexité et de son irréductibilité manifeste à toute tentative de définition schématisante. On nous dit aussi qu’elle existe dans d’autres pays qui en ignorent le nom.
En nous référant à la liberté de conscience consacrée par la loi de 1905, avons-nous une chance de pouvoir mieux appréhender la délicate essence de la laïcité ?
L’utilisation de la liberté de conscience dans le but de mieux comprendre le concept même de laïcité me paraît pertinente au regard justement des aspects pluriels de ce dernier.
Concevoir la laïcité comme un simple principe, fixe, schématisé, serait sans doute intellectuellement satisfaisant dans une perspective pratique. Mais une telle conception conduirait à oublier la richesse de ce concept.
Pour le comprendre, je crois qu’il faut évoquer une nécessaire conciliation (au regard des conceptions évoquées nous pourrions presque parler de mise en tension) entre, d’un côté, une liberté de conscience qui doit être garantie et, de l’autre, l’encadrement de l’action de l’État dans ses interventions.
La laïcité n’est ni l’abstention de l’État, ni l’intolérance totale vis-à-vis du fait religieux. Elle n’est pas non plus synonyme d’une mise entre parenthèses de la liberté de conscience. Au contraire, elle doit permettre à la fois d’accueillir les débats nécessaires dans une société sur la question religieuse, de laisser la place à l’opinion de chacun et de comprendre le rôle de la république sur cette question.
Pour couper court aux controverses récurrentes relatives à la laïcité dans la sphère politique et idéologique, des spécialistes comme Régis Debray ou Jean Baubérot, ont pu écrire qu’il fallait se tourner vers le droit, la laïcité étant alors essentiellement conçue comme un cadre ou un régime juridique.
N’est-ce pas cependant une conception illusoire et réductrice qu’implique ce repli sur le droit positif au risque d’occulter les batailles de valeurs qui ont sous-tendu l’adoption des principes juridiques et qui animent toujours le nécessaire débat public ?
Toute la difficulté de ce débat réside dans la place que nous accordons au droit. Dans la perspective « idéalisée » (excessivement ?) qu’évoquent les spécialistes en question, il y aurait un droit positif, qui fournirait des définitions strictes, précises, uniques, définitives. Cette manière de faire simplifierait le débat en fournissant une réponse, mais cette simplification serait caricaturale car il n’y aurait qu’une seule réponse.
Il suffit de regarder la jurisprudence française pour comprendre que nous sommes très loin de cette vision univoque. Le simple rapprochement entre les jurisprudences du conseil constitutionnel et du conseil d’État illustre la complexité voulue de la réponse juridique. La définition donnée n’est pas exactement la même en fonction du texte qui sert de fondement et au regard des conséquences vis-à-vis des faits et de l’espèce.
À ce titre, le droit peut au contraire fournir une autre porte d’entrée dans le débat sur la laïcité pour se placer, non plus seulement au niveau des questions philosophiques et sociales, mais aussi au niveau des grands principes qui fondent notre société et qui par nature ont des résonances juridiques. C’est dans l’interprétation qui accompagne leur mise en pratique que nous retrouvons certains débats majeurs.
À l’université, quel sens et quelles formes peut prendre « la transmission des valeurs de la République » selon l’intitulé du plan de mobilisation du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche publié en réaction aux attentats de janvier 2015 ?
Pourquoi en effet la formation à « l’esprit de la cité » comme dirait Tocqueville, devrait-elle s’arrêter avec le lycée comme si les étudiants accédaient automatiquement à l’autonomie morale et intellectuelle ?
Si nous nous plaçons dans le seul champ juridique, la réponse à cette question est presque évidente : dans les études de droit, que ce soit dans une perspective pratique (la formation des avocats et des magistrats) ou dans une approche plus théorique (la réflexion sur des concepts juridiques et leur protection), la question des valeurs de la république est automatiquement abordée. Pour ne prendre qu’un exemple, la présentation des droits fondamentaux et de leur protection permet justement de comprendre comment la république a construit et transmis des valeurs, depuis la révolution française, au fil des régimes, jusqu’à aujourd’hui. Cette transmission, qui implique de comprendre l’origine des textes, leur nécessaire interprétation et modernisation, figure au cœur du raisonnement juridique.
La formation de chacun à l’esprit de la cité est indispensable à deux points de vue : d’une part, elle conduit chacun à comprendre le monde dans lequel il vit ; d’autre part, elle s’inscrit dans le régime que les Français ont choisi, ce patrimoine commun que nous appelons république.
Il faudrait sans doute poursuivre la transmission en question en abordant plus généralement les questions juridiques et en inscrivant ces questions dans un véritable débat. Le droit fournit des instruments, des concepts initiaux, et, ce qui est peut-être encore plus fondamental, une certaine manière d’utiliser et d’interpréter les éléments appris.
À ce titre, l’enseignement supérieur tient à mes yeux une place essentielle dans cette transmission, puisqu’il s’agit de compléter les apprentissages du secondaire par une approche critique, enrichie, qui pourrait être adaptée en fonction des disciplines.
Bibliographie
« la Laïcité américaine, l’illusion démocratique », in Franck Laffaille (sous la direction de) Laïcité(s), journée d’études des Cahiers Rémois Annuels de Droit et Politique Etudes Comparées en 2008, Mare et Martin, 2010.
« Commentaire sur l’arrêt Reynolds v. U.S. », in A. Coutant, Histoire constitutionnelle des États-Unis, tome 2, 1860-1937, Mare et Martin, 2013.
« Leçon sur l’Église et la République », in Anatole France, leçon de droit, sous la direction du Professeur Nicolas Dissaux, Mare et Martin, 2016.
« Commentaire sur l’arrêt Lemon v. Kurtzman » in A. Coutant, Histoire constitutionnelle des États-Unis, tome 3, 1937-1980, Mare et Martin, 2016.
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