Vous êtes ici
"Instruire le peuple, émanciper les travailleurs"
Inspé de l’académie de Créteil-UPEC, la Société P.J. Proudhon et la Bibliothèque des Amis de l’Instruction
Présentation
Tout au long du XIXe siècle, les « réformateurs sociaux » ont considérablement investi la question de l’éducation, comme en témoignent les nombreux textes rassemblés par Alain Bataille et Michel Cordillot1, montrant ainsi l’intérêt pour la formation des citoyens et des citoyennes de nombreuses figures du premier socialisme comme Louis Blanc, Cabet, Fourier ou Flora Tristan. Des institutrices comme Jeanne Deroin ou Louise Michel ont joué un rôle considérable dans le développement du socialisme. Proudhon, ancien élève d’une école mutuelle, prônait la « démopédie », et en dépit de ses positions misogynes, il se souciait de l’éducation de ses filles comme en témoigne la toile de son ami Gustave Courbet, qui se voulait un plaidoyer pour l’instruction et le progrès social2.
L’ouvrage dirigé par Gilles Candar, Guy Dreux et Christian Laval sur les socialismes et l’éducation au XIXe montre comment les conceptions socialistes ont conduit à de nombreuses propositions sur les questions éducatives, mais aussi à de nombreuses expérimentations en vue de l’émancipation du peuple3. Bien avant les lois Ferry et la mise en place d’une instruction publique gratuite, de nombreux socialistes ont développé des cours pour les travailleurs (société polytechnique et philotechnique) ou créé des bibliothèques ouvrières comme les Bibliothèques des Amis de l’Instruction4.
Le développement de l’instruction obligatoire à la fin du XIXe siècle change-t-il la donne et passerait-on d’une solidarité pour l’éducation à une éducation à la solidarité5 chez les militants ?
S’il y avait unanimité parmi les socialistes pour instruire le peuple dans un souci d’émancipation des travailleurs, les fins et les moyens tendent à diverger tout au long du XXe siècle. Comme en témoigne une caricature de l’Assiette au beurre, les libertaires renvoient dos à dos la morale républicaine et la morale chrétienne véhiculées par une instruction au service de la bourgeoisie et à laquelle il faut substituer une éducation permanente en lien avec l’Atelier, de par et pour les travailleurs6. À l’inverse, le solidarisme de Léon Bourgeois incarne la volonté de lier les idéaux républicains et socialistes à travers le développement de la coopération encouragée par des universitaires comme Charles Gide.
Les conséquences de la Première Guerre mondiale interrogent les questions éducatives et expliquent l’essor de l’ « éducation nouvelle » liée aux mouvements pacifistes. Les liens avec le communisme montrent les divergences et convergences entre les problématiques pédagogiques et les enjeux politiques. Le parcours de Célestin Freinet témoigne des liens complexes entre les éducateurs et le projet soviétique. L’instituteur communiste qui avait rencontré Nadejda Kroupskaïa, la femme de Lénine chargée de développer l’instruction dans les années 1920, se retrouve exclu du parti communiste après la Seconde Guerre mondiale7. Freinet pose aussi la question de la coopération scolaire qui divise l’OCCE (Office Central de la Coopération à l’École) entre partisans d’une éducation économique et pédagogues. Le débat traverse l’ensemble de l’ « école nouvelle » : quel équilibre entre la liberté de l’enfant et les choix politiques qui s’imposent en période trouble8.
En dépit de ces divergences, le milieu des militants éducatifs parvient à surmonter la guerre froide comme en témoigne la création de la FEN (Fédération de l’Éducation Nationale) qui permet une union syndicale entre socialistes, communistes et libertaires. Il trouve même après Mai 1968 une nouvelle vigueur et une certaine consécration à travers les nombreuses aspirations à une révolution culturelle qui soit soucieuse de l’émancipation des femmes et des ouvriers dans un esprit de solidarité internationale.
Pourtant, depuis les années 1980, un tournant inverse a été amorcé. À l’image des socialismes, le militantisme éducatif a totalement diminué en terme d’adhérents et de structures, que ce soit au niveau syndical, politique ou associatif. L’éducation populaire semble devenue ringarde et n’attire plus qu’une frange marginale de la jeunesse. Quant aux « pédagogies alternatives », elles sont souvent à présent prônées dans des contextes qui n’ont plus rien à voir avec leurs origines. Les écoles Montessori et Steiner sont pour la plupart privées et élitistes quand les pédagogies coopératives ou mutuelles sont peut-être mieux défendues dans les milieux libéraux que dans l’école publique9...
Toutefois, les questions des inégalités au sein des systèmes éducatifs et des inégalités de savoirs dans la société contemporaine restent d’actualité. Elles sont des questions politiques qui interrogent la manière de laquelle la lutte pour la justice sociale ou l’accès aux droits peut être menée. De la problématique d’une éducation au développement durable qui semble faire consensus à celle de l’éducation à l’égalité fille/garçon, qui semble polémique pour une partie de l’opinion ; on perçoit bien un héritage de pratiques et valeurs issus des éducations socialistes ou libertaires, et en même temps, la crainte d’approche plus individualiste et libérale ou l’incapacité à concevoir globalement une autre société.
L’objet de ce colloque sera justement d’interroger ces problématiques éducatives récentes au prisme de l’histoire des socialismes dans l’éducation.
Programme
> Télécharger le programme du colloque